Des rois, des maudits.

ça fait Taam Taam Tadaam et c’est dans ma tête depuis ce matin. Lully ? Je sais plus. Mais c’est encore à cause de Télématin. Et de la chronique de Gersal.
En regardant Depardieu flamber tout vif sur son beau bûcher et hurler « SOYEZ MMMAUDIIIIIIIITS !! » à toute cette belle assemblée endimanchée, j’me suis dit que j’aimerais bien en voir blêmir des rois, moi aussi. J’me suis dit que sur treize générations, peuchère, ils vont pas rigoler. D’ailleurs, il fait pas le fier Le Bel.
Quand même, ça a d’la classe de gueuler comme ça.
Merde. On va pas s’laisser bouffer les orteils, hein. On va pas laisser non plus les voitures nous écrabouiller. Faut pas s’laisser emmerder par la vie, qu’il a dit le monsieur.
Oué. J’vais m’transformer en Super Lapin et buter une ou deux voitures moi aussi. Comme dans le clip de Unkle. Rabbit in your headlight.
Marche ou crève.

ça fait toujours Taam Taam Tadaam dans ma tête et faut que j’te dise aussi que tu sais, tous les petits trucs ont de l’importance. Tous. Mais pas que les mauvais. Alors t’inquiète pas. J’vais me relever. Aussi vite que je suis tombée.

Y’a quelque chose qui me trotte dans la tête depuis plusieurs mois. J’ai l’intime conviction que je suis faite pour errer. Partir, sans cesse. Et j’ai à peine commencé. Il me reste à comprendre comment je vais réaliser ça. Sous quelle forme je vais réussir à m’échapper. La fuite est bien trop présente dans ma vie pour n’être qu’un hasard. Un peu comme un grand voilier amarré au quai. Prêt à partir. Sauf que y’a personne pour dénouer les cordes. Ou alors y’a pas assez de vent. Je sais encore pas vraiment. Tu vois ? Et je ne suis même pas convaincue que cette croisière ne se fera pas en solitaire. Reste à définir.

Mon Twin Peaks.

Il est cinq heures et demi du matin. Des gémissements cherchent à me sortir de là, mes pieds qui se débattent sous les draps. C’est ma propre voix qui m’a réveillée. J’ouvre grand les yeux. Il est cinq heures et demi du matin. C’est ce que m’indique cette pendule que je ne connais pas.
Il faut que je me lève, je ne peux pas rester là.

Direction la salle de bain, un peu d’eau fraîche sur le visage pour m’aider à retrouver mon souffle.
Dans le miroir en face de moi, une femme. Les yeux fatigués et les cheveux en bataille. Je me demande contre qui ils ont fait la guerre.
En refermant les yeux, je revisualise les dernières images de mon rêve. Et je me mets à pleurer.
Le souffle ne revient pas, mais les sanglots de l’épuisement m’obligent à respirer par saccades. Grandes inspirations. Larmes. Essoufflement. Image.
Grande inspiration. Image, encore. Sanglots. Saccades.

Besoin d’air. Une cigarette aussi.
Sans réveiller mon hôte étendu sur la chauffeuse au milieu du passage, je me glisse à l’aveugle en suivant les arrêtes des murs, de la table. Je récupère une veste au passage. J’ouvre les volets, je sors.

Tout est silence, dehors.
Je sais que je ne pourrai pas aller me rendormir tant que je n’aurai pas évacué cette image, tant que je ne l’aurai pas regardée en face.

Une femme, cheveux longs, sourire carnassier passe sa tête dans le chambranle de la porte. C’est sa deuxième crise. Elle est venue s’excuser un peu plus tôt pour la première. Elle est malade. Je ne la connais pas, je ne crois pas. Elle est la soeur d’une amie avec qui je suis. Mais je ne reconnais personne. Aucun visage ne m’est famillier.
Nous sommes dans une petite pièce claire. La porte est blanche, à carreaux. Le lieu me paraît pourtant apaisant. Mais cette femme approche, elle a le vice gravé au fond des yeux, ses lèvres sont gonflées du désir de croquer de la chair. Elle est différente de la pauvre fille qui est venue s’excuser pour sa maladie. Elle est sûre d’elle, forte. Plus forte que moi. Elle est le mal. Elle rampe vers mes pieds, en me parlant. C’est moi qu’elle regarde cette fois. C’est moi qui l’intéresse. Tétanisée par la peur, voilà tout ce que je suis. Les autres personnes sont immobiles et me tournent le dos. Je suis seule avec elle cette fois. Tout ce que je peux faire pour me protéger, c’est cacher mes orteils. Je revois encore mes deux pouces tenter de se faufiler dans les replis du coude de la personne qui est devant moi et me tourne le dos, immobile.
Voilà l’instant exact où mon corps s’est réveillé pour fuire le cauchemar. Cet instant où j’ai senti mes orteils enserrés au fond d’une bouche par des dents qui voulaient m’engloutir.

Pourquoi m’était-il impossible de me rendormir ? Pourquoi cette image m’a t’elle bouleversée à ce point ?
La seule chose qui a pu m’apaiser, c’est de prononcer à haute voix les mots qui restaient enfermés dans ma tête et me faisaient pleurer.
« Elle est une part de toi. Il faut que tu l’acceptes. »

De l’autre côté du rideau rouge. On trouve un nain. On trouve Bob.
J’ai regardé mon démon à moi.
Je l’ai rencontré et tout ce que j’ai su faire, c’est me laisser terroriser par la peur et l’angoisse.
Elle est tout ce que j’ai à affronter. Elle est ma part de mal. Elle est le concentré de toutes mes peurs. Elle est une part de moi.

Une fois que les mots sont sortis, j’ai pu retourner dans la chaleur du lit. Me laisser encore assomer par quelques sanglots que les lentes inspirations ont fini par calmer. Et le sommeil m’a de nouveau emportée.

Près de 36 heures sont passées.
L’angoisse est toujours là.

Bordel que ça fait mal.
J’ai pas fait de geste brusque pourtant. J’ai pas sorti de couteau, j’ai rien arraché.
Et tout est à vif. Rouge.
Cette plaie béante que je soigne depuis tant de temps. Que je pensais bien refermée. Aseptisée.
Voilà que je la sens comme si j’avais les tripes à l’air.
Chaque mot de plus y dépose d’infimes particules de sel qui m’arrache des grimaces de douleur.
Plus capable de faire face.
Plus capable.
Plus rien que des grimaces et du sel qui bouffe la chair.

La solitude du lapin qui pue la chaussette

Quand t’as choppé une bonne grippe, les microbes et les virus, ils te repèrent de loin. Ils te voient arriver, le nez qui coule et les yeux bouffis, ils se disent « chouette ! En voilà un bon petit système immunitaire pépère qui va pas nous faire chier longtemps ! ». Ils sont tout contents, ils sautent de partout sur tes ptites cellules. Se font une grosse teuf d’enfer au milieu de tes pov’ globules blancs amorphes qui réagissent aussi rapidement qu’un lapin aveuglé dans les phares d’une voiture.

Ben quand t’as le moral dans les chaussettes et que t’aurais bien besoin de reprendre un peu confiance en toi, tous les petits détails de la vie, tous les tits trucs anodins qui t’auraient pas fait broncher en temps normal, ils te sautent à la gorge, t’étouffent et t’étalent en moins de temps qu’il faut pour le comprendre.

Et tout s’accumule. Tout se mélange très rapidement. Sauf que tu sais plus trop si ce sont les attaques qui viennent t’agresser ou bien si c’est toi qui va les chercher tellement t’adores te vautrer au fond de tes chaussettes.
Toutes les occasions que tu trouves de te sentir rabaissée, amoindrie, affaiblie, t’en loupes aucune. Et aucune ne te loupe d’ailleurs. Forcément. Tu commences à sentir la vieille chaussette, mine de rien. Ni rassurante, ni accueillante cette odeur.

Et c’est ainsi que nait la solitude.
Tu sais, la solitude des gens qui sont convaincus de puer et qui s’isolent pour pas incommoder les autres. Et les autres, ils la voient pas cette chaussette que t’as au fond du coeur et qui te moisit de l’intérieur. Eux, ils voudraient pas te faire trop chier non plus. Alors ils te fuient aussi. Et le cercle est vicieusement bouclé.

Si ça t’amuse de jouer au lapin, je peux pas faire grand chose pour toi.
Mais alors, vas-y, éclate toi… Joue le jeu à fond.
Sors ton déguisement de bugs bunny et va donc te ballader à moitié à poil sur le bord de l’autoroute.

Elle m’a dit Faut qu’on parle.
Alors on est allé s’installer dans la petite bibliothèque, toutes les deux.
Elle a vidé son sac.
Je n’ai pas trouvé ce que je pensais voir en sortir.
Ce ne sont ni l »incompétence ni le manque de professionnalisme que j’ai vu étalés sur la table par ses soins. Mais une bienveillante petite floppée de gentils compliments visant à m’aider à me redresser avant que je ne tombe. Toute seule. Convaincue que je suis de n’être que la dernière des merdes.
Ce n’est pas de ce côté-ci donc, qu’elle a lancé l’attaque.
Ma froideur, ma prise de distance.
Une fois de plus. Ce sont elles qui reviennent.
L’électron fou. Souriant et distant.
Je veux bien faire des efforts. Mais je ne tiendrai pas longtemps, si je fais semblant.

Et le problème…
C’est que c’est toute ma personnalité que je devrais changer.
Parce que je ne suis rien qu’un glaçon. C’est pas nouveau, ça me poursuit.
Rien que de l’écrire, j’ai l’impression de n’être qu’un bout de viande morte.
Je suis tout ce que je déteste être. Et je n’y peux rien.

Suis-je née pour me laisser bouffer par la solitude ?
Suis-je là pour regarder ce que je suis, dans ma lointaine prise de conscience et me regarder crever de n’être que ce concentré que j’abhorre.
Elle revient tout le temps sur le tapis, cette froideur. Elle prend souvent des masques différents, mais elle fait indéniablement partie des constantes de ma vie.
Elle a souvent tout gâché. Elle n’est jamais bien comprise.
Surtout que les autres la voient beaucoup mieux que moi, de là où ils sont.
Mais qui aura su comment passer au travers, finalement.

Elle a même l’outrecuidance de se faire passer pour une force, cette conne.

Non, ça va pas.
Je suis épuisée de devoir lutter contre ce que je suis.
Et ce matin, j’ai envie de baisser les bras.
Ce matin, je verse des larmes sur ma propre personne.
Dernier rempart, les larmes.
Quand on n’est pas foutu de sortir les armes.
Quand on n’est pas foutu de se défendre.
Se laisser aller.
ça coule. Et ce n’est pas le glaçon qui fond.
Malheureusement.