Fadeur

Elle lui demande chéri, si il peut aller chercher du pain ce soir en rentrant à la maison.
Il lui dit qu’il fait mauvais temps aujourd’hui, je crois.
Elle lui dit qu’aujourd’hui, au boulot, c’était chiant.
Il lui dit qu’il est heureux de l’avoir comme petite femme, je crois.
Elle sourit à son téléphone.
Elle embrasse le micro de son portable avec le petit bruit pouilleux caractéristique des baisers mouillés, des baisers qui prennent l’eau, et lui dit qu’elle l’aime.
« Je t’aime ».
Voilà, elle lui dit ça et elle lui répète encore. Histoire de clore la conversation.
Elle aurait pu lui rappeler d’aller chercher du pain, à la place, elle aurait pu en profiter et penser pragmatique quand même. Quitte à parler sur le même ton, de toute façon.
Je crois l’entendre répondre, de l’autre côté de l’antenne-relais telecom, que lui aussi il l’aime sa poupoule en chocolat au coeur d’amour à paillettes roses.

Attention à la chute

Elle est bizarre cette année quand même…
Les projets sont face à moi, ils m’attendent.
Je sais ce que j’ai à faire.
J’ai peur. Comme toujours.
Ce serait trop facile si tout était simple.
Ce serait tellement simple si tout était facile.
Fustigeant.
Fuuussss.
Tigeant.
Encore des bruits et des sons qui me traversent la tête en courant d’air,
comme aspirés par un vortex branché sur le 220 V et mon oreille droite.
Un appareil électroménager.
Combien de femmes ont reçu un robot mixeur en offrande aujourd’hui ?
Moi, j’ai reçu un son en offrande.
Une voix.
Cette voix qui m’a dit que petit coeur, il est 7 heures.
Et moi qui ai pensé très fort 3 « putain », 2 « bordel », et passé 1 quart d’heure à trainouiller sous la douche parce que décidément, on a rien inventé de mieux pour se laver depuis la bonne vieille douche chaude.
Et puis j’ai déballé encore un autre cadeau, celui du plaisir de l’embrasser avant de partir attraper un train qui, s’il savait un peu qui je suis, bordel, aurait la gentillesse de m’attendre un peu. C’est quoi ce monde de merde qui ne s’arrête même pas de tourner pendant qu’on prends le temps d’aimer ?
Aujourd’hui, pour la Saint-Valentin, j’ai eu un petit bout de quotidien à deux.

Un joli paquet cadeau avec un joli noeud.
(Voilà, c’était la chute).

Aboutissement du détournement.

J’ai régularisé ma situation de voleuse d’informations.
J’ai repris contact.
Un mail.
Genre tout bizarre. Genre je sais pas ce qui m’arrive mais sache que.
Pourtant j’avais pas bu.
Va comprendre… Y’a des moments où les émotions submergent, emportent et guident.
Si on leur laisse le volant, elles nous conduisent n’importe où, n’importe comment.
Sur quatre roues ou sur deux, ou bien sur le toit.
J’en avais marre de devoir voler son présent.
Je n’ai plus à voler, maintenant.
Il m’a répondu.
Et j’ai l’impression d’avoir reçu des nouvelles d’un ami.
Enfin.

Quand je serai moins petite, je voudrai…

… apprendre à dire « je t’aime » à mon papa.
J’aimerais apprendre à ne plus craindre ses colères.
J’aimerais apprendre à lui répondre autre chose que des silences et des fuites.
Aurais-je le courage de lui dire ce que je pense un jour. Le bon, comme le mauvais.
Lui parler, le regarder et l’affronter.
Avant qu’il ne soit trop tard.
Trop tard. Lorsque ma réponse ne pourra plus me laisser qu’un âpre goût de lâcheté sur la langue.
Sans qu’il puisse me gifler.
Sans qu’il puisse pleurer.
Sénile. Mourant. Ou dans sa tombe.

Où mon frère a t’il trouvé la force ?
La force de la haine. De l’affrontement. De la colère qui explose.
Cette force que je lui envie tant, cette force que je n’ai pas.
La seule force chez lui qui m’empêchait de totalement le mépriser.
A l’imparfait. « empêchait ».
Parce que j’ai fini par comprendre.
Par pardonner.
A force de le détester sans savoir vraiment pourquoi.

On nous a tellement bien appris à ne pas dire.
Et je lutte pour apprendre à parler.
J’ai l’espoir qu’un jour, je saurai communiquer sans me retrouver emmurée dans mes silences.

Apprendre à dire « je t’aime ».
Ca se passe en même temps qu’on apprend à dire « je te hais », je crois.
Et devant la glace, ça marche pas.

Au fait. J’ai détruit mon part-choc contre la cuisse d’un chien.
Je ne sais pas si je l’ai tué.
Je ne l’ai pas retrouvé.
Peut-être est-il allé mourir plus loin.
Et si je vous dis ça là, c’est parce que c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour me flageller.
Et que j’ai pas le courage de le dire à mon papa.
Parce qu’il me le pardonnerait pas.
Et là,
J’ai l’impression de ne jamais avoir eu plus de 7 ans.

Faudrait que je cherche dans l’annuaire, si ça existe les Renverseurs d’Animaux de Compagnie Anonymes.
Comme pour les Alcooliques.
Sauf qu’on a boit pas forcément.
Mais qu’on renverse parfois des chiens.

7 ans.
Misérable.
Honteuse.
Et emmurée, entre deux plaques de verre.
Un miroir inutile. Et un écran stérile.

Grattage anonyme

J’aime me tordre les bras pour me gratter le dos. Les tordre suffisamment pour avoir finalement l’impression que ce sont pas vraiment mes bras qui sont en train de me gratter le dos.
Et aller attraper une omoplate qui dépasse, comme une aile de poulet.
Et faire semblant de vouloir l’arracher pour me faire peur.

Finir la séance en me frottant le dos contre le montant de la chaise.
Pour me rassurer.

Je vais à confess’

Bonjour mon Père.
Il faut que je vous dise.
J’ai recommencé.
J’y suis retourné.
Voir sa boîte mail.
Prendre des nouvelles, comme une voleuse.
Et j’en ressors avec rien de méchant. Rien de mauvais.
Juste envie de me dire que bordel, mais il est encore à fond dans ses trucs d’ado fini au pipi ou au vomi.
Et puis ils attendent quoi pour en crever ?

Tiens, je dois être un peu haineuse, mon Père.
Vous avez raison, dans Votre silence.
Elle s’appelle Félicie.
Ils ont un chat.
Et ils le posent chez je sais pas qui le week-end quand ils vont se murger la tronche à coups de vinasse.
Et qu’il se déguise en folle pour amuser la galerie.

Et vous en avez rien à foutre.
Moi non plus, en fait.

Et ça me donne une bonne raison pour me repasser une 5ème fois EZ3kiel et son Versus qui, décidément, poutre.

Je suis triste, c’est tout.
De tant de temps. De tant d’oubli. De tant de vide. De tant de creux. De tant de souvenirs. De tant de perte. De tant de désespoir. De tant de destruction. De tant de manque. De tant d’instabilité. De tant d’immaturité. De tant de vanité. De tant de vie. De tant d’inutilité. De tant de philosophie. De tant de neurones. De tant d’intelligence. De tant de néant.

6ème fois.
Elle me fera peut-être apprendre la vie dans mon sommeil.
Elle sera Mes Ave Maria et mes Pater Noster que vous avez la gentillesse de ne pas me conseiller.

Bonne nuit le vide.