Ne pas bouger.



J’essaie de reprendre le contrôle, lentement. Je me jette de la raison dans les sens pour les calmer. Reprendre le contrôle de la peur qui surgit, sans que je comprenne vraiment pourquoi.
Le monde est dangereux pour un être comme moi. Excusez-moi de ne pas m’y attarder.
Excusez-moi, si je ne fais que passer.
Votre contact m’envahit. Femme trou. Humain réceptacle.
Vous avez trop d’emprise sur moi.
Vos peurs deviennent les miennes, vos angoisses m’étourdissent.

Est-on à l’abri derrière la vitre ? Ou bien est-on simplement enfermés ?
La constante, celle qui me suit depuis si longtemps, celle que je cherche à définir depuis tant d’années. Je la tiens au creux de ma peur, je l’observe et l’admire. Je ne veux surtout pas l’effrayer, ce n’est pas tous les soirs qu’elle est toujours là lorsque je me retourne sur le miroir et qu’elle a oublié de bouger.

L’âme et le corps sont deux animaux à dompter. Lequel va manger l’autre ?

je / tu / Elle



Objet dormant. Sexe féminin. Capturé un soir de pluie. Je crois. Je ne m’en souviens plus. En tout cas, nous venions de prendre une décision. Et nous l’avons suivie. Ensemble, toutes les deux.
Nous venions de décider d’exister, chacune pour sa peau, ensemble, en se tenant la main. Nous venions de décider de plonger dans l’eau froide, de nager, jusqu’à ce que le fond s’en suive, pour mieux remonter.
Nous nous sommes promis de prendre soin l’une de l’autre, en balbutiant. Peut-être même sans rien se dire. Comme des enfants qui s’échangent leur sang. Avec des grands mots qui ne servent à rien, puisque là n’est pas l’important.
Le souvenir que l’on garde de ces instants, et de ceux qui suivirent, précieux comme rarement. Il y avait quelqu’un pour nous tenir la main, c’est tout ce que je retiens.

D’elle ou de moi, qui est la plus forte ?
Drôle de question. Les rapports de force, je n’y crois plus. Ils sont tellement présents. C’est juste un déguisement, d’être tout nu. J’aimerais juste pouvoir te regarder pendant que tu te maquilles. Laisse la porte de la salle de bain entre-ouverte s’il te plaît.
Tu dors à gauche ou à droite ? Elle ne sert plus à rien cette question. Je dors du côté de la porte. Sauf quand je me sens bien. Je n’avais jamais compris pourquoi. Maintenant je sais. C’est la place du gardien.

Alors où es-tu maintenant ? Je sais pas bien. Je suis arrivée quelque part en tout cas. Le voyage s’est bien passé ? Sans encombre. On m’a appris à mentir, depuis tout ce temps. Pour protéger, tout le temps. Mentir pour protéger ceux qui n’ont pas les armes pour affronter la réalité. Alors arrête de jouer à l’enfant.

Où veux tu que j’regarde ?

Pourquoi tu ne regardes pas les filles dans les yeux quand tu baises ?
Je sais pas, j’ai honte je crois.
T’as honte de quoi ?
Honte d’être là. C’est ma façon à moi de dire « excusez moi mademoiselle de vous pénétrer ».
Mais je peux essayer.
Non. Me regarde pas, je préfère comme ça.
Me regarde pas, je te dis. C’est toi qui as raison.
De toute façon, je sais plus regarder moi non plus, j’ai perdu ça en route.
Je dois avoir honte aussi.
Et puis de toute façon, c’est mieux.
On ferme les yeux, d’accord ? Comme ça, on ne voit plus les mensonges.
Et puis franchement, c’est plus agréable.
Quand tu me regardes, je vois plus rien, de toute façon.

Le ventre a ses raisons que la raison ignore.

– Donc au final, ce mec te fait souffrir.
– Grave.
– Il n’ y a aucune possibilité d’avenir commun, tu l’aimes, et lui il t’aime aussi un peu, mais pas comme tu voudrais qu’il t’aime. Et tu es incapable de le virer de ta vie quand même.
– Voilà.

– Nan mais je comprends.
– Ha bon ? T’en as de la chance. Parce que moi je sais pas ce que je fous avec ce boulet accroché à mon coeur.
– Si si, c’est logique. Quand on te connaît, c’est tout à fait logique.
– Merde. Je suis si tordue que ça ?
– Nan, nan. T’as plus rien à bouffer dans ta cuisine, tu fous pas les pieds dehors avant seize heures, mais y’a des miettes de croissants sur ton bureau. Alors s’ il t’amène les croissants à chaque fois qu’il veut tirer un coup…
-…

Le champs de cactus

Il y a comme une odeur.
Un baiser en attente qui rôde dans ta tête.
Un baiser de transition entre un passé qui crève et un avenir qui blesse.
une forme de progression.
Une odeur qui réveille les blessures endormies, qui s’insinue par des capteurs que tu voudrais abrutir et désensibiliser.
Une forme de lobotomie.
Peut-être une maladie.
Sûrement juste un échec qui ne dort plus et met toujours sa musique trop fort, même au fond de tes rêves les plus sincères. Les rêves d’une personne qui voudrait simplement dormir et oublier. Boucler la transition.
Le baiser neuronal de l’odeur qui remonte jusqu’à ton cerveau sort des crocs comme des pioches, il fait tous les dégâts qu’il peut et glisse dans tous les orifices qu’il croise.
Il aime ton nez, tes yeux, tes oreilles et préfère utiliser ta bouche comme porte de sortie. Ta bouche si douce où s’écoulent et s’avalent les déchets inutiles. Ta bouche qui recrache des mots comme on s’enlève une épine. C’est un champs de cactus dans lequel tu t’es couchée.

Toute violence reçue est une bombe en amorce. Sagement, elle explose en silence dans les cavités dévastées de tes sens en déroute, ébréchés par les coups de pioches de l’odeur qui continue d’avancer.
A force de se multiplier, elle pourrait un jour ne plus être contenue. Crier de toutes tes forces, alerter les pierres, les témoins inconscients, les innocents en puissance, les coupables qui se terrent.
Tu en meurs d’envie, premier témoin muet des odeurs qui s’embrassent déjà dans ta tête. Tu en meurs d’envie et tu ne répondras pas. C’est devenu ta seule défense.
Des bombes ont explosé dans ta tête, pourtant.
La jalousie va finir par tuer quelqu’un. Songe à ne pas rester près d’elle.
Et arrête de baiser avec des cactus.