Solstice d’hiver

Le 15 décembre 2017, appel de ma soeur. Je l’entends dans son « coucou ma soeur ». Je l’entends. Attends, j’éteins la musique. Qu’est-ce qui se passe ? Ils vont mettre maman en soins palliatifs.

Le 16 décembre,  je mets une éternité à faire 3 mètres, à boire mon café, à faire 300 mètres, à changer mon billet de train initialement prévu pour le 21. Je sors de la boutique sncf. Je pense à Noël. Je vois les livres dans ma librairie jeunesse. J’achète des livres, mes neveux, ma nièce. Je pense à Noël qui ne peut plus reculer.
Ma soeur me passe maman au téléphone, elle entend mon aurevoir. Elle sait que je vais arriver. Elle réagit encore.

Le 17 décembre, j’arrive à Lyon à midi. Ma soeur, mon père et moi, nous allons à la Sauvegarde. L’hôpital où ma vie a été sauvée. L’hôpital où ma mère meurt ce soir-là à 22h15.

Des jours de brouillard dont je ne suis pas encore sortie. Flou et cotonneux, dis-tu, ma chère louve. Oui. Ça doit être ça.

Un mal de tête constant, pendant 4 jours, me protège du monde extérieur et amortit chaque douleur malvenue, chaque geste, chaque parole. Je ne laisse passer que les sourires sincères, les émotions vraies et bienveillantes. Tout le reste est filtré, trié, recyclé par un mécanisme automatique que je ne contrôle pas, mais qui me permet d’être debout et de tenir le choc. A la moindre saturation, je me fige et je quitte mon corps, à quelques centimètres derrière moi. Quand la menace est partie, je reviens. Je m’autorise à pleurer et à vivre ce deuil.
Les embrouilles avec la belle-soeur qui n’a pas compris que ce n’est pas sa mère qu’on va enterrer.

Le 21 décembre, nous mettons le corps de maman en terre. Je ne pense qu’à une chose : La vie est d’une beauté qui nous dépasse, tous autant que nous sommes.

Noël. Papa en compagnie de son Alzheimer. Je prépare des repas. Je fais des courses. Je suis là de mon mieux.

Je ne sais pas très bien où je suis.
Aujourd’hui, je suis rentrée dans ma bulle chez-moi. Il était temps que je me retrouve dans mon quotidien. Je reste perplexe face à cet état étrange que j’ai l’impression de découvrir.
Je sais que j’ai dit adieu à maman il y a déjà plusieurs semaines. J’ai dit adieu à la part toxique de notre relation. J’étais déjà en deuil depuis quelques temps.

Aujourd’hui vient le deuil de la femme qui m’a donné la vie. Chaque nuance compte, chaque reflet est différent.

Aujourd’hui, je pense aux dernières paroles que j’ai entendues de sa bouche, au téléphone, début décembre. Le traditionnel « dommage que tu sois si loin ». Et le plus rare mais omniprésent  « il faudrait que tu trouves un compagnon. » Additionné d’une remarque  : « Ça aide. »
Je sens que ce dernier message gratte quelque chose en moi. Je sais qu’elle a raison, quelque part. Je ne peux pas tout faire toute seule. J’avance beaucoup mieux quand je suis bien accompagnée.
Je sais aussi qu’elle a tort, quelque part. Je me sens déjà accompagnée. Par le moindre sourire, par le moindre mot, le moindre geste. La plupart des messages que j’ai reçus sont des duvets de tendresse et d’amour pour moi.
Je me sens forte. Étrangement forte. Confiante, sereine. Étourdie par ce déferlement d’émotions et chamboulée par l’idée que « maman » n’est plus. Une idée qui va me percuter, encore et encore, tant que je n’aurai pas vraiment réalisé.
Mais le bon à garder, il est dans mes tripes, dans mon corps, dans mon coeur. Je le garde précieusement. Une page se tourne. Je me sens humble et heureuse face à la vie qui me parcourt.

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