Eva

Rue de la bastide, n°32. Eva appuie sur le bouton de l’interphone. Elle lui répond quand la voix lui demande qui c’est, que c’est elle, et qu’elle a très envie de baiser là maintenant.
La porte sonne et s’ouvre. ça veut dire qu’il est chez lui, qu’il a très envie lui aussi. Comme d’habitude.
L’avantage du 32 rue de la bastide, c’est qu’il baise en fermant les yeux et sans jamais poser de questions. Enfin si. Tu vas bien ? et Tu veux un café ? Il est tout à fait possible de répondre oui dans ces conditions sans avoir l’air d’être là pour pouvoir mentir à quelqu’un.
Il est parfait pour une petite fuite en avant, pour ne rien voir de ce qu’elle cache. Ne rien voir de ce qu’elle n’a plus. Aujourd’hui, maintenant. Depuis ce matin 9h45, heure à laquelle Eva a reçu un appel de son gynéco, parlant de salpingite, de dommages causés, d’infections probablement répétées et silencieuses, de dégâts irréversibles et concluant sur la stérilité.
Eva a terminé sa journée de travail, elle aussi, répétitive et silencieuse. Et maintenant elle est là, et elle ment.
Il baise toujours en fermant les yeux. L’homme idéal pour ne rien voir. Eva se plonge dans le noir de ses paupières elle aussi. Parfois, elle regarde le plafond. Parfois, elle bouffe l’oreiller. Et en plus, c’est bon.
Enlève la capote s’il te plaît, et prends-moi.
ça sort tout seul de sa bouche. Rien à faire, la vérité sort du foie et elle pue la perte de soi sous ses airs de chlorophylle.
Il s’arrête dans l’élan de son deuxième orgasme en préparation.
Eva, ça va pas ?
J’veux pas mentir, je sais pas mentir. Eva ne répond pas, se lève, se rhabille sous un regard silencieux qui ne comprend rien. Forcément, il répète toujours les mêmes questions. ça va. ça va pas. Quelle importance.
Il hausse la voix pour aller percher son « Putain Eva tu fais chier réponds-moi » dans les profondeurs de sa force virile, mais néanmoins toujours aussi aveugle.
C’est pas en me forçant à parler que tu vas réussir à m’écouter. C’est ce qu’Eva pense en tout cas. Alors en se dirigeant vers la porte, elle lui dit calmement la vérité, puisqu’elle ne demande qu’à sortir. Qu’elle a un utérus qui ne sert plus à rien, mais qu’il s’en fout, probablement. Qu’il aurait pu en profiter pour la remplir de sperme jusqu’à en ouvrir enfin les yeux. Que les capotes ça sert plus à rien avec elle maintenant parce qu’elle est super clean de toute façon, les examens sont formels, le traitement antibio a été super efficace. Juste qu’il est arrivé trop tard.
Elle ferme la porte derrière elle pendant qu’il essaye d’ouvrir les yeux, lui aussi trop tard.

Quelle situation débile ! Eva avance au milieu des silhouettes de la rue, elle sourit à l’absurde et à ses pieds.
Avancer et fuir, c’est tout ce qu’elle sait faire. Entre le passé et l’avenir, le présent est bien handicapé maintenant.

C’était bien, avant, quand il fallait encore faire attention. Une histoire de presque une année lui avait même offert une fois le droit de déconner avec son homme, imagine je tombe enceinte ! Ils en avaient rigolé, en jouant au papa et à la maman pour cinq minutes avant de finir par un orgasme ou deux, après les croissants du dimanche et le jus d’orange maison pour avaler la pilule.
Eva se souvient avoir ri souvent de ses rêves de maternité, comme on rit d’un accident de voiture manqué, pour chasser la peur et la conscience de la mortalité.
Aujourd’hui, alors qu’elle passe au milieu de quelques voitures qui klaxonnent sans qu’elle entende, elle donnerait tout pour l’avoir connu, son accident de parcours.
Elle aurait fait une bonne mère, c’est certain.
Au lieu de ça, elle avait choisi d’ignorer sa quête en multipliant les conquêtes, comme Jésus a multiplié les petits pains, pour donner le sourire à tout le monde. Surtout à elle-même. Un sourire d’extase sexuelle, en remettant le sacrifice de soi à plus tard.

C’était bien, avant, quand tout était permis, quand elle cherchait éventuellement l’homme de sa vie au gré des instants, des humeurs, des bars. Ces histoires où tout est si prometteur, avant. ça donne tellement le sourire, tous ces beaux mots, ces douces paroles. Avant le coït, l’orgasme et le contact intime des chairs. La séduction a tous les droits, comme Eva. Y compris celui d’être belle.

Et après ?
Chaque aventure, dans tout le plaisir qu’elle offre et dans toute sa beauté à chaque fois renouvelée, lui rappelait quand même à quel point l’absence de l’amour est cruelle.
L’amour, l’ingrédient qui finit toujours par manquer.

Mais l’amour, ça viendra, tu verras ! Le meilleur est devant toi Eva ! Tu as trente-deux ans ! Tu as toute la vie ! C’est ce que sa copine lui avait dit la dernière fois au téléphone. Elle essayait de lui remonter le moral perdu au 64 boulevard Chopin, dans un appartement où on lui avait dit qu’elle était vraiment géniale comme fille et que c’était fini.
Et Eva y croyait, aux débuts, aux fins et aux répétitions silencieuses de ces histoires toujours un petit peu heureuses. Eva croyait aussi alors être riche du temps qu’elle avait. Oui, elle était encore jeune, elle allait le trouver le bon garçon, il allait venir le bon moment. Fallait surtout pas le chercher parce que c’était pas la bonne solution.

Elle se sent conne avec ses rêves avortés de mômes sur le trottoir, et ça, c’est pas d’aujourd’hui. Juste que maintenant que le rêve a perdu le luxe d’avoir du sens, en plus de se sentir conne, elle se sent vide.
Vide et inutilisable.
La gueule de sa mère quand elle va lui annoncer. Maman, t’auras jamais de petits enfants. Arrête d’acheter de la layette en douce. Le rire d’Eva surprend quelques passants, pendant qu’elle se bat à coups de sarcasmes contre les exigences de l’éducation qu’elle a reçue.
Y’a plus que ça à faire, en rire, faute de pouvoir leur rendre hommage. Ben oui maman. J’ai saccagé mon corps à coups de bites de tous les hommes de ma vie, et non, je me suis pas arrêtée à deux.

Eva en arrive là, au milieu de la foule anonyme de la passerelle et de sa mémoire. C’est l’heure de la sortie des écoles, des enfants la bousculent, se chamaillent. Allez Martin ! rends-moi ça !
Parmi les pas anonymes, baskets noires, quelques talons hauts, ses pieds lui donnent le vertige. Le rôle n’est plus à prendre, la pièce ne sera pas jouée. C’était sans doute le rôle de ses rêves, celui de donner la vie.
Eva retire son masque de femme vide pour regarder l’eau couler.
Elle s’assoit sur le bitume, sous le poids de sa mortalité évidente. Elle n’a plus que son propre avenir devant elle.

Horizon

Quatre heures passées de onze minutes dans la nuit du deux fois dix-six janvier deux-dix fois dix fois dix- huit.
Le temps passe lentement. Et les voitures pas du tout.
Quelques unes osent cependant rouler, cinq grammes de vodka dans chaque chambre à air. Y’en a une, ça fait trois fois qu’elle passe. Je crois que c’est pour la gamine du sept. Ou pour la pute qu’était souvent devant le huit. Pas de bol, elle s’est faite étrangler à l’angle la nuit dernière. Ils avaient qu’à réparer le lampadaire aussi, depuis le temps que c’était tout noir dans ma tête.

Mon seul arbre dort. Comme toujours. Il fait semblant. Comme toujours. Il nous fait sa poussée de bourgeons en silence, sans que personne ne regarde. Ce jeune puceau. De toute façon, avec son espérance de vie de dix ans, je serais lui, je la ramènerais pas. Mais c’est à croire qu’il est au courant tellement on s’adresse la parole.

Les étourneaux sont revenus ce soir le couvrir de leur fiente acide, ils vont encore me pourrir la peau, tout chargés qu’ils sont des graines transgéniques qu’ils sont allées piocher dans la poubelle du macdo, piquer dans la main du clodo, sur le trottoir de la pizzeria, sous les fenêtres de la vieille du deux ; y’a peut-être des chanceux qui ont eu le courage de voler dans la journée jusqu’aux champs à plein de kilomètres de là. Qu’est-ce que j’en sais, moi. C’est le vent qui m’a parlé des champs. Moi, j’en ai jamais vu.
Et puis le vent, il me fait froid dans la bouche de toute façon. C’est qu’un con.

Moi tout ce que je connais, ce sont ceux qui m’habitent, me longent et me traversent.

Je parle pas avec les autres de mon espèce, je les ai jamais croisés. Je m’écrase simplement face aux avenues qui me coupent en trois. Elles s’y mettent à quatre. Autant vous dire que j’ai du mal à me réunir, parfois. Mais avec le temps qui ne change pas, on s’habitue à n’importe quoi. Même à ça.

J’aimerais bien avoir des jambes pour m’enfuir, des bras, des mains, des semblants d’extension, des appendices humains. Ils en ont bien, eux, les passants. Moi, tout ce à quoi j’ai eu droit, c’est de céder le passage trois fois.
Saint-Urbain, j’y crois pas. C’est des conneries tout ça. Alors à quoi ça servirait de prier pour avoir ne serait-ce qu’une petite impasse dans ma vie, une pas trop moche dans laquelle me fourrer les nuits comme celle-là ?

Demain, des travaux sont prévus au treize. Toujours la même rengaine. On va encore m’amputer de quelque chose. Jamais ça leur ai venu à l’idée de m’aider à grimper un peu. Jamais depuis que je suis né on ne m’a fait grâce d’un étage de plus, un pauvre étage de rien du tout. Juste pour que je puisse espérer voir par-dessus les avenues.

Heureusement que le soleil descend me voir, tous les soirs. Sa lumière me donne une belle gueule. J’aime pas quand il fait gris. Je ressemble à rien. Encore plus, je veux dire. Il paraît qu’avant, ça aidait quand même, pour l’hygiène, la pluie. Aujourd’hui, ça m’encrasse un peu plus chaque fois.

Je m’appelle Antonins. Rue des Antonins. J’ai quinze numéros et demi. Et mon rêve dans la vie, c’est de ne pas être ce que je suis.

C’était ça où je tuais le fien.

« Un mot de plus et je tue le fien. »
C’est ce que Barnabé a lu ce matin en ouvrant son journal à la page sports.
Sur le coup, il n’a rien compris. Mais il va pas se formaliser pour ça.
Une simple question d’habitude.
Et d’odorat.
Il les sent venir les coups fourrés de la cinglée du dessus.
Encore elle.
Toujours elle.
Cette malade ne lui lâchera donc jamais la grappe, putain.
Elle a encore du râter son enregistrement de la Star’Ac pour être dans un état pareil ces jours-ci. Ou bien foirer son clafouti aux pruneaux. Être méchamment constipée et avoir gobé ses supos de flufilax au lieu de se les carrer bien profond.
Cette conne.
Mais c’est pas grave, elle va pas mettre sa journée en berne avec ces menaces débiles.
Il s’en fout, Barnabé.
Il a jamais eu de fien.
Et il se demande même ce que c’est que ce truc, encore.
Elle ferait un effort, cette grognasse, elle menacerait un peu de lui exterminer sa blonde, pour une fois, histoire qu’il puisse enfin aller lutiner avec la serveuse du Houbabar tranquillement, sans craindre les représailles imbéciles dues à ces conneries d’odeurs de poufexrine.
Ha, celui-là, cherchez pas. Il est pas dans le dico. C’est la blonde à Barnabé qui l’a inventé. Un truc sensé rassembler en une seule bouchée la pouffe, le sexe et l’urine. Facile. Mais elle nous en sort des pas cotons parfois, quand elle se met en rogne. Des trucs, tu poses ça sur ton scrabble, tu colores tous les autres glandus en vert pomme. Faut vraiment être glandu, d’ailleurs, pour jouer au scrabble. Quelle idée il a eu ce soir-là Barnabé. M’enfin.
Elle disparaîtrait, la blonde, y’aurait plus de scrabble, plus de glandus intellectuellomachinprout, plus de crises, plus de raison d’aller niquer dans les chiottes et donc plus que de la poufexe. Et de la bonne, c’est lui qui vous l’dit.
Mais la blonde, elle, jamais personne la menace. Elle fait trop peur.
Et c’est certainement pas la tarée du dessus qui va oser s’y mettre. Elle aurait bien trop peur de passer de la constipation serrée-serrée à la liquéfiante. D’autant plus qu’elles sont sensées être meilleures copines du monde, ces deux malades.

Tiens. Elle est bonne celle-là. Liquéfiante. Liquéfiante de pigeon. Liquéfiante de tarée du dessus.
Ha.
ha ha.
Barnabé se marre.
ça ferait même rire sa blonde, si il lui causait encore.

Et ensuite, Barnabé, il est parti niquer. Et il a jamais su ce qu’était un fien.
Il est mort avant.
Ecrasé par une Airbus A 360 qu’avait perdu le nord et qui savait plus où donner de la tête.

Derrière ce qui se cache devant, parfois.

Quelle femme n’aime pas se sentir protégée ?
Dans les bras d’un homme qu’elle aime, dans les branches d’un arbre qui l’aura vue grandir, dans les souvenirs ensoleillés d’une belle journée d’été, où elle aura vu son père rire.
Dans les petites attentions, sincères et pures, d’un ami qu’elle sait toujours là. Dans les sourires d’un enfant, qui un jour sûrement, lui rendra en amour et en énergie toutes les peurs qu’elle nourrit, aujourd’hui, pour lui.

La chaleur d’un foyer. La lumière d’une bougie. Un simple rayon de soleil, parfois.
Nous n’en profiterons pas toute la vie. Nous ne les trouverons pas toujours sur notre chemin. Si les rides se creusent sur nos peaux, c’est bien que quelqu’un, là haut, en a décidé autrement.

Il nous faut sortir de nos petits retranchements, de nos abris de fortune, de nos tours d’ivoire, de nos cabanes au fond des bois ou de nos châteaux-forts. Affronter les tempêtes, les vents, les petites pluies, les gros temps. Nous laisser vivre. Il ne pourra en être autrement.

Vous ne la voyez peut-être pas, la carapace que l’on s’est construite, notre éternel premier amour. Notre vivant second amour. Notre immortel troisième amour. Et nos suivants. Et nos ratés. Et nos honteux. Tous les autres. Notre indestructible champs de mines. Notre plus douce artillerie.
Peut-être pensez-vous que c’est de notre passé qu’il faudrait nous protéger ? Peut-être prenez-vous nos larmes, parfois, pour ce qu’elles ne sont pas.

Personne n’a le droit de nous prendre pour plus fragiles que nous ne sommes. Si personne n’a le droit de brader nos deuils, personne n’a non plus le droit de nous les ôter.
Au nom de la faiblesse, dont vous semblez souffrir autrement plus cuisamment que nous.
Au nom de l’amour ou de l’amitié que vous pouvez nous porter. Au nom de la protection que vous vous sentez obligés de nous fournir. La sainte mission dont vous pouvez parfois, vous sentir investis.

Et si aujourd’hui, tu me faisais pleurer, un peu… s’il te plaît. Que je retrouve le divin goût du sel protecteur.

claque d’amour

Il y a de ces gens, ils savent tellement pas dire à quel point… Ils osent tellement pas… Ils respectent tellement la vieille tradition familiale qui consiste à ne surtout pas dire…
Qu’ils restent prisonniers entre les silences de leurs points de suspension.
Et la seule façon qu’ils ont trouvé pour laisser vibrer l’écho de leur sentiment, c’est de donner de grandes claques, de grandes claques d’amour, à coups d’élan et de buée sur les cils, en prenant d’un coup ceux qu’ils aiment dans leurs bras.

wagon bar

Il voudrait bien savoir où il en est.
Il a beau regarder par la fenêtre du train qui court plus vite que le paysage, y’a pas de carte. Pas de plan. Pas de mode d’emploi. Il a pas choisi d’en arriver là. Il a juste essayé d’avancer. Mais il est arrivé. Là. Là où il ne s’attendait pas. Face à elle. Pour lui dire qu’il a pas voulu que ça se passe comme ça. Qu’il s’y attendait pas. Qu’il en veut à…
A qui tu peux en vouloir ? A part à toi ?
Oui, c’est ça, je m’en veux, à moi. C’est moi. C’est à cause de moi. Tout ça. Toute cette route. Tout ce chemin. Qui mène à rien.
En fait, il n’en croit rien. Pourquoi s’en vouloir à soi ? Alors qu’en fait, c’est la vie qui s’est planté de carte, qui s’est gouré de plan. C’était pas sa route. Pas son chemin. Il aurait jamais du croiser le sien. A elle. Il aurait jamais du poser sa main. Il aurait jamais du lire le paysage, ouvrir les yeux. Il aurait jamais du les fermer, pour l’embrasser. Il aurait jamais du prendre peur. Il aurait jamais du chercher à s’arrêter. Y’avait pas de gare de prévue, sur le plan. Mais le plan, il le connait pas.

Il est dans le train qui mange le paysage. Des arbres, attaqués de toute part. Par le train qui s’enfonce bruyamment dans ses entrailles. Par la pluie en trainées qui coule le long des fenêtres. Par les rideaux plissés, qu’il a envie de fermer. Ne plus voir le paysage qui s’essouffle et qui crève, à vouloir suivre ce train. Ce putain de train, qui mène à rien. Ferme les yeux. Le soleil peureux s’éteind. Tout disparaît. Le paysage qui se noie, le soleil qui fuit. Et lui. Lui.

Lui, il va finir par manger un sandwich. Au wagon bar. Dans le train qui mène nulle part. Si ce n’est loin. Il aimerait bien pouvoir bouffer le souvenir qui lui ronge le ventre à cet instant, mais c’est comme les cartes et les plans des chemins qu’on choisit sans savoir, ça. ça existe pas vraiment. Alors ce sont eux qui nous bouffent, et nous, on peut même pas les attraper. Pour se nourrir, un peu.

Comment j’ai gravé mon DD à moi.

Les infirmières m’ont offert une poule.
Une belle poule, avec cinq doigts.
C’est une poule, parce qu’elle a une jolie crête.
ça peut être que ça.
C’est même une poule magique parce qu’elle est en plastique.

Aujourd’hui, je vais sortir de l’hôpital.
Il faut fêter ça !
Combien de temps cela fait-il que je suis ici ?
Je n’en sais plus rien. Quelques semaines ? Quelques mois ?
Je suis entrée là parce qu’on est allées se promener, maman, cousine, tatan, et moi.
On est allées voir la voisine. La voisine, avec son gros chien.
J’ai voulu faire un câlin. Les câlins, dans les pattes des gros chiens, ça vaut tous les bisous de la terre.

Et puis après, y’a eu maman qui courait.
Et puis moi, dans ses bras.
Y’a eu la voiture, la Diane.
Je savais pas trop où on roulait.
Mais maman voulait qu’on y arrive très vite.

Et puis un jour, je me suis réveillée, et on avait éteint la lumière.
J’y voyais plus rien.
Le docteur, et puis maman, ils m’ont dit que c’était pas la lumière qui était éteinte.
Qu’il faisait même très beau dehors. Un beau mois de juillet.
En fait, c’est parce qu’on m’a mis plein de bandeaux tout autour de la tête.
Quelle drôle d’idée. Je veux bien les croire. Seulement une fois que j’aurai vérifié par moi-même.
Y’a pas d’âge pour se prendre pour Saint Thomas.

Je suis montée sur le lit, y’a un immense miroir.
Je me dresse sur la pointe des pieds et je contemple les belles bandes blanches qui me couronnent.
Et qu’évidemment, j’avais déjà pris soin d’écarter.
ça vous apprendra à m’interdire d’y toucher.

Je suis une petite princesse, au pays des poules en caoutchouc à cinq doigts
Et des infirmières qui sont pas comme la lumière.
Elles, elles s’éteignent pas.

chut

Chut… Faut pas le dire…
Mais le chanter, entre deux éclats de rire.
Le découvrir, au détour d’une rue, au coin d’un café.
Le réveiller parfois, paupières encore toutes collées.
Le regarder dormir, le regarder manger.
S’en étonner, à chaque instant.
Le faire et le vivre.
S’en émerveiller.

CrÂme

Elle te suit, elle te colle
Elle est relent, elle est alcool.

Odeur des chairs brûlées
Consumées.
Odeur du bois noirci.

Tissus embaumés d’un parfum de carbone.
Pas une fibre n’y échappe. Pas un cheveu.

Monde minéral qui s’imprègne
Au coeur du vivant, en voie de mort.

Pas moyen de l’oublier
Quand elle t’a habité.

Ombre sur ta peau qui te colle.
Poussière de chairs mortes, de lambeaux.

Trop de choses partent en fumée,
Dans nos vies.

Et les êtres que l’on aime
sont parfois couverts de suie.

Sur le palier

Je t’ai appelée.
J’avais besoin de te parler.
Besoin de te voir comme envie de pisser.
Je pensais, j’espérais, en sortir soulagé.

Je t’ai appelée.
J’avais besoin de te voir.
Envie de te parler, te convaincre
J’suis pas un mauvais gars tu sais, j’suis pas un mauvais gars.
J’suis pas pire.

Crois-moi ma Colombe, mon Amour.
J’ai toujours envie de te prendre dans mes bras.
Comme on sert un oreiller chargé d’odeurs,
Un vieux pull déchiré déchirant, contre soi.

Te rassurer, et puis aussi un peu moi.
On finira pas comme ça, tu sais, on finira pas.

J’peux pas partir, j’peux pas te laisser là.
J’peux pas partir parce que je suis déjà plus là.

J’veux pas que tu te meures sans moi,
J’veux pas qu’il t’arrive des bêtises.
J’veux pas avoir froid cette nuit
Alors s’il te plaît, accepte moi comme ça.

J’peux pas m’enfuir, parce que j’ai nulle part où aller
Ailleurs que là. Et puis ton coeur est chaud, ton âme est douce,
Je me rappelle bien que tes bras savent bercer.

A quand cela remonte-t’il, ma Tendre… ?
Mes souvenirs s’embrument, tu sais.
Mais je crois bien que je t’ai aimée.

J’ai trouvé les fleurs, piétinées devant ta porte d’entrée.
Je reviendrai demain.
J’veux juste te parler.
J’peux pas aller plus loin, tu sais.
J’peux plus entrer, j’peux plus m’enfuir.
J’ai pas le courage de te quitter,
Et pas assez de lâcheté pour revenir.