Le chien et le piolet

C’est con un chien. Surtout quand ça a reniflé une chienne. Rien de tel qu’une bonne dose de phéromones pour leur donner des ailes.
C’est con un chien. Surtout quand ça croit avoir des ailes.
C’est ainsi qu’il y a quelques années, avant que Lichen, notre chien familial, baptisé par mes bons soins, ne se confronte à la dure réalité d’un pare-choc lancé à quatre-vingt kilomètres heures et ne gagne ainsi réellement son auréole, il s’est retrouvé le bide empalé sur les lys décoratifs et durement métalliques de la barrière d’un voisin.

Une amie passant par là, reconnaissant notre noble bâtard au pedigree comportant pas moins de cinq races – quelle fierté dans la famille ! – se précipita aux pieds de la barrière. Le chien ne se débattait pas, ne grognait pas, il pleurait, bien humblement. Sûrement de ne pas pouvoir rejoindre sa dulcinée, sans doute aussi à cause de la douleur, et peut-être aussi de s’être retrouvé piégé comme un knacki stupide au bout d’une fourchette.
Notre amie, sans se poser trop de questions, le prit à bouts de bras, le souleva lentement pour le décrocher et le posa sur le sol.
Le chien n’a pas bronché. Il s’est laissé faire. Comme seul un être capable de connaître la confiance peut le faire. Et à la grande surprise de notre amie, Lichen s’est relevé pour parcourir les trois cents mètres qui le séparaient de notre maison.
ça s’appelle rentrer la queue entre les jambes et le bide ouvert jusqu’aux tripes. Et ça a fini chez le véto.

Je me demande parfois ce qui, dans l’évolution animale, a pu faire qu’un être blessé ne bouffe pas tout simplement n’importe qui l’approchant. Comment est-il possible d’être domestiqué à ce point, de ressentir au plus profond de ta peur, de savoir que la personne qui s’apprête à te toucher alors n’est pas dotée des pires intentions ?

Mais je ne peux vous raconter l’histoire de Lichen sans penser à celle de la renarde.
Des amis de mes parents possèdent une auberge de montagne, dans les Alpes. Une renarde avait pris l’habitude de venir fouiner du côté de cet habitat accueillant, attirée peut-être par l’odeur des cuisines. J’en sais rien, je n’imagine pas ce qui peut pousser un renard sauvage à se rapprocher de son pire prédateur sous prétexte qu’il prépare des plats alléchants.
Ce que je sais néanmoins, c’est que cette renarde, devenue la mascotte de l’auberge et de la famille qui l’avait prise en affection et lui faisait sans doute profiter de quelques restes de repas, a un jour été retrouvée à cent mètres du chalet, le crâne défoncé à coups de piolets.
Ils avaient du prendre peur du dangereux animal sauvage, les braves randonneurs aguerris. Ils avaient probablement tenté de l’amadouer en lui tendant un morceau de sandwich, la renarde avait peut-être pris peur, peut-être avait-elle une portée à protéger des sandwichs randonneurs. Alors ils se sont protégés, violemment. Ils avaient peut-être eux aussi des petits prédateurs à défendre.

Je sors mon joker si on me demande de trouver une logique à tout cela. Elles sont multiples, et c’est très bien comme ça. On se ferait chier sinon.

Une dernière chose que je sais. C’est qu’il y a des jours où la main tendue pour venir me sauver alors que mon sang se répand sur le sol, je serais capable de l’arracher à coups de crocs, de rage et de douleur. Je ne suis pas domestiquée au point de faire confiance à toutes les mains tendues.
Il y a des jours où le brave promeneur, il aurait intérêt à le tenir bien serré, son piolet. Il aurait raison.
Il n’est pas impossible que la bêtise de ce monde métallique auquel je reste parfois pendue par le ventre me rende quelque peu agressive.
N’est pas animal confiant qui veut.

5 réflexions sur “Le chien et le piolet

  1. alain dit :

    Et ben c’es gai en ce moment « Un plancton dans le spasse »…..
    Tu rèspires la joie de vivre dis donc….

  2. Plancton dit :

    Nalinou, c’est pas « tu », c’est « ça » 🙂 Nan parce que « moi », mis à part que j’ai *encore* le dos en vrac, *encore* à cause d’un oreiller négligé le temps d’une nuit ou deux, ben je vais carrément bien !

  3. Humphrey dit :

    C’est pas un compliment « pour du beurre » mais t’écrit particulièrement bien en ce moment, une plume légére et attractive……….un heureux délaissement du patos comme disent ceux qui gagnent leur vie à te coucher sur un divan.
    Bref je serais curieux d’en connaitre « la » raison………
    Dans la vrai vie, s’entend.
    Bizarre cette monomanie au sujet de la confiance quand meme, à creuser ?

  4. Plancton dit :

    Bizarre comme j’étais passée à côté de ta dernière phrase à ma première lecture de ta réaction, humphrey…
    Justement, j’y songeais, et même j’en parlais, ce soir, de la confiance.
    La confiance en soi, quelle galère ce truc. J’aimerais bien être un surhomme parfois. Je mangerais du sursteak et des surpatates.
    J’en cause donc si souvent que ça, de la confiance ?
    Et pour ce qui est de « la » raison, elle est une décision. Des gens sur mon chemin, au bon moment. De la construction d’un peu d’estime. Et l’impression persistante que j’ai un truc à faire avec les mots et qu’on n’en a pas fini, eux et moi. Dussé-je y donner trop d’importance et laisser mon orgueil mener le combat.

  5. Plancton dit :

    et sinon, ceux qui me couchent sur leur divan, je les ai jamais payés, personnellement. 🙂

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