Je sais pas qui tu es, je sais pas d’où tu viens. Mais je sais que tu es là. Freud a essayé de me faire croire que tu te planquais entre mes cuisses. Et puis je me suis rendu compte qu’entre mes cuisses, c’était vivant et ça créait de l’énergie. Entre mes cuisses, ça capte, ça saisit, ça entoure, ça frémit, ça se tend, ça se détend, ça s’ouvre, ça se ressert. Entre mes cuisses, il n’y a jamais eu de vide. Mais bon, Freud, il a jamais compris les vulves et les vagins. C’est pas grave en soi, mais c’est juste que ça a bien foutu la merde dans la psyché de pas mal de femmes et d’hommes qui pensent que c’est un trou à remplir. Et ça, franchement, c’est naze, parce qu’on passe à côté de plein de trucs à considérer la sexualité comme un Lego.
Mais bon, bref, pardon, je reviens à toi, cher vide.
Je voudrais bien qu’on fasse la paix, toi et moi. Parce que tu vois, le souci, c’est que tu bouffes pas mal d’énergie. Une énergie que j’aimerais bien utiliser à autre chose que te combler. Et qui sait, peut-être que si on faisait la paix, tu pourrais toi aussi me donner de l’énergie au lieu de me la consumer. Mais le plus gros souci quand tu as faim, c’est que je sais plus qui je suis. Tu me grignotes l’identité. Et je sais plus ce que je vaux, je sais plus m’aimer. Je m’écoute, et j’entends gronder. Ça fait un bruit d’orage dans mon corps, j’ai le coeur qui sent la pluie et ça saigne entre mes yeux. Et j’ai faim pour toi. J’ai faim de culs, de cervelles, de coeurs, de travail, de logiques à pourfendre, de valeurs à détruire, de cimetières de souvenirs à profaner. Tu sais que tu as un côté tyran mon coco ?
Mais déjà je ne t’entends plus. Quelques exagérations métaphoriques et te voilà rassasié ? Tu avais juste envie que je revienne ici ? C’est ça ?
Je sais pas qui tu es. Mais tu bouges vite. Est-ce que t’as envie d’être aimé ou envie de créer ? Es-tu enfant tyran ou reine mère ? Circée ou Babayaga ? As-tu envie de consumer, de détruire ou de laisser mourir ? Es-tu compatissant ou trou béant ?
Il y a bien du monde dans ce vide, finalement… Peut-être que je me suis trompée d’adresse ?
Le monde que tu cries ressemble à l’unicité. Moi, je veux bien. Mais personne d’autre ne pourra te l’offrir. Ça ne sert pas à grand chose d’attendre que cela vienne de lui, ou d’elle, ou de l’autre. J’en suis navrée, sincèrement. J’en suis navrée parce que je sais qu’on y passe trop de temps, à attendre. Attendre la peur, attendre le cul, la cervelle ou le coeur. Attendre le mot d’amour, l’attention spéciale, la joie ultime, unique qui n’est jamais aussi belle que celle que tu aurais espérée.
Qu’est-ce que tu espères au juste ? Être comblé ? Chaton, on tourne en rond.
Tu sais ce qu’on va faire ?
…
Négoce alité, pas l’heure dérangé
Au delà du souffle une drogue à semer.
Pause. Fenêtre. Je reviens.
L’essentiel. Ha oui. C’est vrai. C’est pur. C’est beau. Content l’ego ?
Echo Lego. J’ai tué maman. Mes mains sur sa gorge se sont serrées.
On m’a jugée. On m’a chassée. J’ai pris mon sac de voyage à grosses fleurs colorées. Un sac inventé.
Une mère alitée. Un bagage vide trop plein. Mon poids mort, mon lien.
Je suis partie dans la montagne, rejoindre ceux et celles de ma famille qui reste à trouver.
Et putain, ça m’a fait du bien.
…
Je te sens secoué de lire ça, mon plein. Je te sens vidé d’une tempête noire. D’une blessure orangée.
Où sont passées les couleurs ? Elles s’ébrouent dans le champ. Leurs ailes sont déployées, prêtes à décoller.
On est faits l’un pour l’autre, toi et moi. Mon fil est parfois fin, mais je trouve mon chemin entre notre vide et notre plein.
Le vieux sage à moustache, Babayaga, La louve, La femme aux bottes noires, La fille aux chaussures rouges… L’enfant sauvage, petite herbe folle devenue forêt.
Quand je serai grande, je serai roi d’une grande famille qui vit en moi. Je serai chêne ou roseau. Une poussée de matière. Qui vit et meurt dans une immense spirale à l’échelle des univers.
Lego de passés qui m’appartiennent ou pas. Demain est choix.
Aujourd’hui, je suis en vie et j’ai faim de couleurs qui brillent en toi.
C’est juste pour dessiner un tableau.
Ce soir, je suis pinceau.
…
Bonne nuit mon vide. Je t’aime.
Je ne sais pas pour ton vide mais nous*, on avait hâte que tu viennes un peu là élucubrer. Ca résonne tout ça, du vide, du plein, plein d’échos et de vases qui communiquent sans forcément s’entendre.
Des motifs se répètent, se mélangent, s’identifient et s’aliènent : chère sœur louve à souliers rouges, nous vivons seuls et pourtant nous ne le sommes pas, reliés-tissés que nous sommes de fils vivants, tiraillants, subis ou choisis, déchirés parfois, arrachés et effilochés, jamais solidemment fixés comme la moule à son rocher mais toujours mouvants, dansants, présents.
Ton fil encore, comme souvent, me remue, me bouleverse et m’attendrit…
Parfois je rêve d’un monde où l’apparence ne pourrait pas voiler les déesses qui vivent dans nos têtes et où on les verrait virevolter et scintiller, pudiques et mystérieuses mais grandioses et sublimes à l’ombre des charmilles. Pourquoi faut-il donc se contenter d’un visage anonyme et de prêt-à-porter quand nous incarnons secrètement tout le royaume des fées ?