Youpi tralala.

Madame,
Vous avez reçu la prime de solidarité active exceptionnelle de 200,00 euros alors que vous n’y aviez pas droit.
Vous devez donc nous rembourser cette somme le plus rapidement possible.
Votre caisse d’allocations familiales.

Joyeux Noël à toi aussi.

trente-trois.

Je suis en danger.
Je suis un danger.
Et toujours aucun panneau de signalisation sur la route.
Je suis coupable.
Je suis découpée.
Et la lame ne m’a même pas déflorée.

Les choses se passent sans que rien ne soit transformé. Nous n’en verrons jamais le bout. De la route. De la queue. Tout est figé, religieusement silencieux. Les choses ne voudraient pas qu’on les voit. La magie opère. Elle se noue un masque bleu sur le visage, met ses gants de latex, sort son bistouri. Attention, elle va ouvrir. Un deux trois soleil. Plus personne ne bouge. Les mains sur la tête. Sinon, tu vas me sentir passer, salope. A sec, sans anesthésie.

Dieu que je suis choquée. Je me regarde dans la vitre, et tout ce que je vois, c’est dehors. Je suis passée par la fenêtre. Et c’est rien de le dire. C’est rien. Trois fois rien. La fenêtre n’a pourtant que deux combattants. C’est trop facile de jeter les mots. Je me fais rire. rien. Je sais plus. Je te jette ça à la gueule, comme si je me comprenais moi-même.

A un moment ou un autre de la journée, je me réveille. Parce qu’il est l’heure de reprendre le contrôle de la réalité. C’est comme ça, tout le monde fait pareil, depuis la nuit des temps. Sans que personne n’ait jamais compris pourquoi. Même si chacun colle une raison sur cet état des choses, des êtres, du vivant. Et quand les morts se réveillent, c’est qu’on est au cinéma, devant un film de zombie. Et pourtant, les morts sont là, hein. On les porte dans nos coeurs. On les ressort pour la Toussaint. C’est comme ça, c’est un état des choses des êtres morts, du vivant.
Bonjour grand-mère. Comment ça va ?

ça me coute rien de le dire. De l’écrire non plus. ça rembourse mes années d’étude. Grande section maternelle. Je me souviens, j’ai appris à lire avec « Petit Marmouset ». Et Larousse me dit que j’ai appris à lire avec Petite « Figurine grotesque : Marmousets sculptés sur les portails des églises. » Maintenant je comprends tout.

Demain, je recommence. J’efface tout. Je me rachète. On peut faire ça ? Dis ? On peut ? J’ai une cathédrale à effondrer. Une bombe H à fabriquer. Un monde à faire imploser. La nature a horreur du vide. C’est pour ça qu’on avale des conneries. Pour donner le change. Avoir du répondant face au néant qui nous constitue.
Demain, ce sera pour une autre raison. On s’en fout.

Rien n’est bien grave finalement. La lame est aiguisée. Une question d’angle, tout ça. De points de vue. Demain, je serai réveillée. Je reprendrai le contrôle. J’ai horreur de mon laisser-aller. passer. pisser. Rayons la mention utile et allons prendre un peu le soleil. ça fait assez mal comme ça. Laissons la magie opérer.

trois francs.

Maman attend toujours les huissiers.
Elle aurait pu se faire une raison, quand même, depuis vingt ans. Mais non. La raison, elle l’a toujours pas retrouvée. Tout ce qu’elle a, c’est une cause, son petit pêché originel à elle, son déclic à névroses. Une erreur de comptabilité de trois francs commise il y a cinquante ans.
Ha ! Ces petits détails anodins qui finissent par prendre tant de place.

Mais en attendant, les huissiers ne sont toujours pas là.
Alors maman prend son mal en patience. Elle s’occupe. Elle harcèle ses enfants pour qu’ils se reproduisent. Et pour ceux d’entre nous qui ont accompli leur mission, faut pas croire que le boulot soit fini. Maintenant, il faut qu’ils laissent la grand-mère voir plus souvent ses petits-enfants. Sans quoi, on n’est rien que des enfants indignes et méchants.

Bon. Ils font quoi les huissiers ?
C’est quand que je vais payer ? elle se dit, maman. Y’a une facture en cours, hein, faudrait pas l’oublier.
Ce qui est drôle et qui m’a longtemps fait pleurer, c’est que maman, c’est une vraie tête de mule. Une championne de la mauvaise foi, une convaincue de quand ça l’arrange. Alors, va t’en donc, du haut de tes douze ans, lui faire comprendre à maman, que c’est rien que des conneries tout ça.
Va t’en donc, du haut de tes vingt ans, lui faire comprendre à maman, que ce qu’elle veut payer, c’est autre chose.
Va t’en donc, du haut de tes trente ans, lui faire comprendre à maman, qu’elle est passée à côté de sa vie y’a vachement longtemps et que maintenant, de toute façon, c’est foutu. Et va t’en donc l’accepter, toi.
Alors bon, je m’en suis allée.

Maman, les huissiers, ils viendront plus tu sais.
Y’a plus que ça à dire. En attendant, j’en ai usée, de la salive.
J’en rigole. Beaucoup. C’est vrai que tout bien réfléchi, vingt ans de la vie d’une famille entière gâchés pour une erreur de trois francs, y’a un petit côté dérisoire qui me chatouille les pieds. Et ça va pas en s’arrangeant. Je dois avoir des semelles percées. Tout me fait marrer.
Et quelqu’un, là, me dit depuis quelques temps, arrête, tu sauveras pas le monde. Accepte ton impuissance et barre-toi.
Peut-être qu’il continuera de me le dire dans vingt ans.

Paris, le 9 décembre 2009.
Tiens, les huissiers viendront peut-être aujourd’hui. Fêter les vingt ans de ta maladie avec moi. Et puis dans un mois, on se fait une grosse fiesta ! Y’a les dix ans de l’internement de mon ex ! Tu crois qu’on pourrait demander aux huissiers de venir aussi ? Ils s’entendront vachement bien avec la petite voix de la télé !
Tu ne sauveras pas le monde. Accepte ton impuissance et barre-toi.
On peut l’accepter combien de fois, son impuissance, dans une vie ? Si l’ambulance, elle gagne trois fois, j’ai le droit de rejouer ? Nan ? C’est game over ? Pff. C’est pas juste.
Faut dire, c’est compliqué comme jeu. Si les fous étaient cons, ce serait plus simple.
Et si j’arrêtais de rigoler, je me mettrais à pleurer, et je pourrais plus jamais m’arrêter.

Les mots magiques

– oui, maman … blablabla je descende sur Bordeaux aussi bientôt blablabla blablabla couple d’amis blablablabla avoir un bébé. Tu sais ? J’étais blablablabla mariage blablablabla.
– Quand est-ce que tu trouveras un compagnon toi aussi ?
– Aurevoir maman ! Bisous ! clic

Rapide comme l’éclair un coup de fil avec ma mère.