Le chevreuil

Il se dit que Dieu est là. Dieu l’a protégé. Et quand par hasard, Il aurait oublié de le faire, Il a eu la décence de l’en avertir ou de lui envoyer un signe. Un signe du Destin. Sa foi est le rempart qui l’empêche de devenir inhumain. On ne peut pas avoir grandi au milieu des bombes sans avoir peur un jour de perdre ce qui nous rattache au reste de l’humanité.
Il attend des réponses, et je l’écoute parler. Voilà ce qui me rattache au reste du monde: Je refuse parfois de lever mon bouclier. A défaut de kalachnikov, j’ai développé le système de défense. Mais parfois, ce sont les autres qu’il faut essayer de protéger.
Il a peur de sa sensibilité, de sa curiosité, de ses connaissances. C’est un monde d’intellectuels auquel il n’appartient pas. La tentation du franchissement des barrières sociales qui ont grandi avec lui, dans sa tête. Une boîte de Pandore.

Un homme sensible, un homme qui regarde sa souffrance bien en face, est-il encore un homme ?

Ses questions me laissent perplexes tandis que je m’enfonce dans la distance, cette forêt clairsemée qui a l’air d’un rempart, mais qui nous laisse finalement comme un pauvre con de chevreuil, au milieu d’une clairière. Sept chasseurs t’ont déjà en ligne de mire.
Dieu que la souffrance des autres peut faire mal quand on accepte de la recevoir.

Surtout ne pas juger. Je ne connais pas son univers, et il a déjà tant d’apriori sur celui auquel il m’a associée.
Surtout ne pas lui donner de faux espoirs.
Surtout ne pas creuser inutilement sa douleur.
L’objectivité : un filin tendu entre deux falaises. Et quand l’équilibre est là, qu’on avance à petits pas, se méfier du moment où l’épuisement laisse retomber les bras.

Les femmes… Ha ! Les femmes ! S’il savait ce que je pense de cette race à poux ! 45 % sont des putes, 45 % sont des mères, et le reste a de la chance.
Forcément, je peux pas lui dire ça. Vu qu’en plus, je ne le pense qu’après trois verres de vin.

J’espère qu’il dormira cette nuit. Ce sera le remerciement qu’il tient tant à me donner.
Parce que tout cela lui appartient. Je ne veux pas être remerciée. Je ne veux pas avoir de rôle à jouer. Je ne veux pas.
Pourtant, je ne me suis pas posé de questions quand il a commencé à se confier. Je savais que j’allais devoir marcher sur le fil. Aller au milieu de la clairière.

C’était gratuit, ça doit le rester. Je refuse que quoi que ce soit de son histoire m’appartienne. J’évoque donc les mots ici afin de leur rendre leur liberté.
Il faut que je les relâche. Il faut que je lâche. Pas le droit de garder.
Bordel de merde ! Rendez-moi mon bouclier !

J’allais bien. J’allais même très bien. Et me voilà à souffrir de douleurs qui ne sont pas les miennes.
Un plancton est-il encore un plancton quand il devient humain ?
Moi aussi, j’en ai plein des questions. Je me demande si j’ai un coeur. S’il est bien dans ma poitrine et pas entre mes deux ovaires.
Je me demande si le bonheur est une cause ou bien une conséquence. Je me demande si la peur va gagner. Si mon égoïsme a des raisons d’être respecté. Si j’ai le droit d’avoir confiance. Si c’est un rêve ou une réalité…

Est-ce que le chevreuil a le temps de se sentir aussi con que moi ce soir, avant que le premier des sept fusils commence à tirer ?

détrouillage niveau 0

Entre un petit moi et un grand tout, il y a déjà les mots qui se posent là. Ils prennent leurs aises et leurs « ismes » et comblent le vide qui devrait être utilisé pour des choses beaucoup plus constructives.
Parce que j’en ai rien à cirer du féminisme, du communautarisme, du gauchisme, du syndicalisme ou de l’humanisme. On a collé des mots là où seul le signifié est vertueux.
Et pire, certains considèrent que se placer du côté d’un mot nous oppose forcément au camp du mot d’en face, ou à celui du dessus ou du dessous. Y’a des sens, des hiérarchies, des valeurs, et au bout du compte, le bien et le mal de quelqu’un qui regarde ça en riant. Bordel, quelle merde ils ont fini par mettre.
ça m’arrangerait bien de n’appartenir à aucune catégorie.
Le truc qui me gène dans les catégories, c’est qu’on y colle jamais vraiment complètement. Et que quand on colle pas au groupe, on finit par faire tâche.
Mais ne vous inquiétez pas : Vous aussi vous êtes tous des tâches. Vous n’osez simplement pas vous l’avouer. Et pourtant, il faut vous faire un peu confiance, que diable !
Je ne suis décidément pas à l’aise dans le registre des généralités. J’ai toujours peur d’oublier quelqu’un. Et la règle veut que les généralités oublient toujours quelqu’un. Vous avez remarqué que c’est souvent vous ? Bravo, vous êtes sur la bonne voie pour devenir tâche.

Quitte à choisir, faudrait qu’on choisisse tous d’être des tâches d’huile : Il n’ y a rien de plus beau que la fusion des gouttes d’huile à la surface de l’eau. On serait beaux à flotter au milieu de la planète bleue.
J’avais dix mille autres choses à écrire, mais j’ose plus. Y’a trop de choses que j’ose plus, ou que j’ai jamais osées. Le trouillisme est relativement parfait pour me caractériser. Pourtant, je fais bien comme tous les autres cons de la planète, parfois j’ose. Mais bon, faut voir aussi après où ça nous mène. Je peux pas dire que ça ait été une réussite sur tous les plans. A propos de plan, maintenant que j’ai bien plané dans ma trouille, j’essaye de redescendre sur terre. C’est pas marrant de vivre en ayant peur de crever, ou de perdre un être aimé. C’est pas très drôle d’y penser tous les jours, en tache de fond. C’est assez fatigant. Même s’il est d’une beauté à crever, avec ses rides et ses poils sur le nez. J’étais touchée. Pis j’ai coulé. Mais bon, je vous ai pas attendus pour remonter.

Y’a quelqu’un qu’il faudrait que j’invite à boire un café. Un verre avec un truc dedans. N’importe quoi. Mais mon trouillisme me bloque un peu le système central. Un peu comme à quinze ans. C’est bien la peine de se faire chier à apprendre les leçons de la vie, tiens.
Peut-être aussi que je suis un peu trouillée. C’est là où on est content de se prendre pour une tâche d’huile. ça aide à faire glisser. Pis ça fait pas de mal de croire un peu en la fusion de temps en temps.