Petite voix

Ça y est, je burn out.
Tout allait beaucoup trop bien et j’ai voulu trop faire.
(Allez hop, un petit coup de flagellation coupable au passage.)
La tête noyée dans du trop qui semble sûrement n’être rien pour quelqu’un de normal. Sauf que là, vraiment, je me sens pas normale du tout. Même pas une zèbre normale.
(Allez hop, fais ta 4 de base en désintégration interne.)
J’ai même pas de relation amoureuse à proprement parler, mais rien que tenter de développer des communications par écrit avec des gens sympas sur un site de rencontre, ça m’épuise. L’écrit m’épuise.
Je passe ma matinée à remuer, analyser toutes les données dans ma tête, pour chacun.e, et après, après, mettre tout ça par écrit. Bug.
Bug. Prendre un livre. S’aérer l’esprit. S’endormir. Réveil après un quart d’heure car tu sais qu’il faut pas faire de sieste trop longue. Sonnerie. Allez, encore un quart d’heure. Se lever du canapé deux heures après, vidée de toute énergie. Vampirisée par des remorques absurdes qui ont envahi mes rêves, tourner autour d’une maison sans pouvoir y entrer. Peur du rejet, d’être inadaptée aux codes car chaque lieu, chaque micro-communauté a ses codes, tu dois t’y conformer. Fatigue.
La vie sociale est source d’anxiété pour moi, même derrière un écran. Surtout derrière un écran. Comment je faisais il y a quinze ou vingt ans ?
Je m’épuisais autant. Rappelle-toi bien, Blandine. Tu sais que ça t’épuisait. C’est aussi pour ça que c’était chouette quand enfin tu te casais, tu trouvais un copain. Enfin, ça pouvait s’arrêter, tu pouvais te reposer un peu et te concentrer sur une communication, un rapport, un lien. Sauf qu’aujourd’hui, tu sais que ça sert à rien de te bercer dans cette illusion. L’autre n’est pas un lieu de repos. L’autre est une fatigue permanente, même quand il n’est pas là car si en plus tu es amoureuse, tu y penses sans arrêt, tout le temps, en tâche de fond.
Je traverse des déserts, de plus en plus régulièrement, qui s’étendent de plus en plus dans la durée. Comme une lente traversée vers le sommet d’une montagne où je serais enfin en paix, seule, aimante et aimée. Sans autre objet que mon être, relié à l’univers. Il y aura un champ de fleurs à mes pieds. Un lac paisible de toutes les larmes que j’aurai versées au cours de mon existence, de toute la pisse que j’aurai vidée de mon corps. Toute l’eau de ma vie y sera concentrée. Et ce bain sera doux et nourrissant. Nettoyé par le temps qui passe et n’en finit jamais de recommencer.

L’écrit m’épuise.
Et pourtant je suis là, dans mon refuge, mon berceau numérique. Mon antre. Cette interface qui, dans ses versions précédentes, m’a reliée au monde il y a quinze ans. Je sais pourquoi je viens là.
J’appelle au secours mais je ne veux d’aide de personne. Car
débrouille-toi seule, Blandine.
Débrouille-toi seule. Tu ne peux compter que sur toi-même.
Oui, mais je sais que ça marche pas, ça me rend pas heureuse de fonctionner comme ça !
T’auras l’air de quoi si tu rends ça public ? Si tu demandes de l’attention, de l’écoute, de l’aide à des gens que tu connais pas ? Tu ne connais personne car personne n’est là pour toi, avec toi.
T’auras l’air de quoi si tu prends du temps et de l’espace dans la vie des gens ?

Oh ta gueule, la petite voix. C’est bon, le lac est déjà rempli de larmes et de pisse purgée.
Je le sais bien que je me débrouille très bien toute seule. Je le sais car quelqu’un m’entend, quelqu’un m’écoute, quelqu’un me lit.
Quelqu’un d’autre existe.

Merci.
Je suis soulagée d’avoir écrit. Je suis aimée.
Tu sais par qui, petite voix ?
Par toi.

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