Il aura suffi

Les jours se suivent et ne se ressemblent pas.
Quel bel exemple pour les heures, qui leur emboîtent le pas.
Les minutes, gentilles brebis, ne restent pas à la traîne.
Et dans mon espace-temps où les barreaux remplacent aujourd’hui les fenêtres,
Il ne me reste rien qu’un vide à combler, un stress de l’immensité,
et toujours, toujours, des yeux trop secs.

J’pensais pas que c’était possible de jouer à ça.
Pas lui, pas avec moi.
Et j’pensais pas non plus que ça pourrait faire mal.
N’oublie pas, tout te blesse. C’est pourtant simple à retenir.
Juste que ça faisait quelques temps que tu t’étais pas pris des baffes comme ça dans la tronche.

So, on efface tout.
On recommence.

Free hug

Je crois que y’a un monsieur efféminé qui vient de me demander où se trouve la rue au-nom-qui-n’existe-pas. Comme j’aime bien partager mon ignorance avec les autres, je m’arrête donc et lui dis ce que j’en sais, c’est à dire que je n’en sais rien. Il rigole parce qu’il trouve ça sympa que je m’arrête comme ça pour ne pas vraiment l’aider. En fait, il est là pour distribuer des bouquins d’auteurs homosexuels du Marais ou un truc comme ça. Il me demande si je suis amoureuse. Après un tour de manège supersonique dans ma tête, je suis bien forcée de lui répondre que non. Il trouve ça super dommage et qu’avec les seins que t’as et ton beau cul, c’est franchement con que y’ait pas un mec le soir dans ton lit pour en profiter. Second tour de manège dans ma tête, moi, j’aimerais bien aussi hein, je lui dis. Célibataire depuis huit mois ? Ouais, ça marche, tu passes encore au contrôle technique. Il me fait rire dans toute sa candeur d’adulte.
Il me présente deux bouquins, il me les offre, contre petite participation aux actions de l’association de je sais plus quoi. Je sais pas pourquoi, je me souviens pas de tous les détails de son blabla. Coup d’oeil rapide, la couverture me plaît, ça parle d’un homme, de sa vie amoureuse. J’aime bien découvrir ce qui tombe du ciel sur mon chemin. Mon portefeuille affiche douze euros et des confettis jaunes. Je garde les confettis.
T’es charmante, t’es pas comme ces pouffes qui se la pètent. Je te ferais bien l’amour comme un dieu ce soir tiens. Il me sort ça avec le sourire et la classe et la caresse dans ta face livrés trois en un. Et moi, quand on me dit ça comme ça, avec cette température humaine là, et avec le soleil qui me tape sur le crane, je fusionne et je passe direct à la condensation.
Je repars avec douze euros en moins, quatre bouquins finalement, un pour moi, deux pour des filles, un pour un homme. Faudra que je retienne à qui il m’a demandé de les offrir quand même.
Et puis j’emporte aussi avec moi le souvenir d’une séance de free hug en pleine rue piétonne, le goût d’une langue toute douce qui m’a pris la bouche d’assaut comme on prend un sexe quand on l’aime, quelques murmures dans l’oreille, le sourire, la clope qui tremble et un numéro de téléphone sous un prénom dans un bouquin que tu le gardes pour toi celui-là hein ?! Et que tu m’appelles quand tu montes à Paris.

« Sois mystérieuse »… hin hin hin.

Il m’arrive de me mettre à poils. Complètement. De virer toutes les virgules, tous les peut-être, les adverbes, les minorants, et de me retrouver nue comme un vers à la fin de ma phrase.

Et quand j’appuie sur le bouton d’envoi de cette démonstration d’impudeur, je me tranforme en terroriste. La bombe est maintenant quelque part, entre lui et moi, et y’en a un des deux qui va se faire sauter la tronche, sans que je sache encore qui.

Post-it ouverts à moi-même

#1 Quand tu trouves un bar près de ton boulot où l’on sait encore préparer le chocolat chaud avec du lait, tu gardes précieusement l’adresse. Même si tu te sens obligée de planquer la couverture de ton bouquin de peur d’attirer le regard tâteur du parieur de chevaux.

#2 Soit une personne de mon voisinage me pique mes sous-vêtements sur l’étendage, soit je suis profondément étourdie.
Ou comment se trouver parfois tête en l’air, cul nu, et ensembles à jamais dépareillés.

Avec tous mes respects,
B.

Le lait sur le feu

Et j’ai osé avancer, sans même la moindre parcelle de conscience d’un mensonge, que j’étais patiente.
« Je suis très patiente ».
Sans mentir, c’est parfois vrai. C’est souvent le cas. C’est quand même pas si faux que ça…
Sauf que les seuls mots qui me coulent dans le sang depuis quelques heures sont l’urgence, l’insupportabilité, l’intolérabilité face au temps que je dois regarder passer sans oser avancer.

Au front, et en sueur.

Il a mené sa vie au front
Dans une guerre qu’on se refuse à imaginer perdue d’avance.
Il a donné ce qu’il a pu de lui,
De son coeur, de sa tête,
Dans des combats sans merci
Qui l’ont laissé sur le dos.

Il a appris, il a compris,
Les leçons intolérables que l’on ne s’imagine pas devoir comprendre
Quand on a vingt ans et que tout ce que l’on voudrait apprendre
C’est que donner le meilleur de soi est la clé de la vie.

Il a usé son coeur sur tous les tons de rouge à lèvres
Il a usé sa queue face à des yeux bleus, des yeux verts,
Des regards noirs et des étincelles marrons,
La seule couleur qui ait tenu le coup
Est celle de son regard chaque matin dans le miroir.

Il continue d’essayer de sortir de sa tranchée,
De vaincre l’équilibre auquel on finit toujours par s’habituer.
On s’habitue à tout.
Même quand on se regarde avec nos yeux de vingt ans,
Et qu’on n’arrive même plus à s’apercevoir tellement on est flou.
Tellement on se juge parfois insignifiant.

On le croise, sans jamais trop lui poser de questions.
On s’attendrit au détour d’un sourire,
Le sourire d’un visage lumineux s’il n’était pas éclairé d’un soleil noir.
On le regarde en s’imaginant l’aimer, pour tout ce qu’il est,
et qu’il n’a pas pu garder. Pour tout ce qu’il a pu donner,
et qu’il a perdu en route.

soleil noir

Le soleil noir éclaire la tranchée où le seul combat à mener
Est celui d’un homme seul.
Les adversaires en face sont partis depuis longtemps.
Derrière l’homme blessé reste le valeureux combattant,
Une ombre debout contre le mur de terre.

On aimerait pouvoir l’aimer, on aimerait pouvoir l’éclairer autrement.
On aimerait, on pourrait aimer.
Ce serait simple, sans ce grand panneau rouge et blanc.
Interdiction d’aimer sous peine d’effondrement.